Dans un contexte professionnel de plus en plus exigeant, marqué par l’hyperconnectivité, la recherche constante de performance et une intensification des rythmes de travail, la question de la santé mentale en entreprise s’impose comme un sujet majeur. Pourtant, elle demeure souvent reléguée au second plan, éclipsée par des priorités économiques ou organisationnelles immédiates, traitée de manière superficielle ou ponctuelle, sans réelle prise en compte de sa portée humaine, sociale et organisationnelle.
Parmi les troubles les plus fréquents mais aussi les plus sous-déclarés figure la dépression liée au travail. Ce phénomène, bien que largement documenté par les instances de santé publique, reste encore trop souvent invisibilisé dans les politiques de gestion des ressources humaines. Il ne se manifeste pas toujours par une symptomatologie bruyante ou spectaculaire, mais par une détérioration progressive de l’engagement, une fatigue persistante, une perte de sens ou un repli relationnel discret mais constant.
Le salarié concerné demeure fonctionnel. Il répond à ses obligations, respecte les délais, maintient une image professionnelle conforme aux attentes. Mais derrière cette façade, la détresse psychologique s’installe. Et lorsque les signaux d’alerte ne sont ni repérés ni pris en compte, le risque d’effondrement devient réel.
Dans ce contexte, il devient impératif pour les entreprises de considérer la santé mentale au travail comme un enjeu stratégique à part entière. Non seulement en raison de ses conséquences humaines, parfois dramatiques, mais également en raison de son coût économique, largement sous-estimé.
Cet article vise à objectiver le phénomène à travers des données récentes, à déconstruire les idées reçues, et à proposer des leviers d’action concrets à destination des employeurs, des décideurs RH et des encadrants. Parce qu’agir en faveur de la santé mentale au travail, ce n’est pas seulement prévenir les risques : c’est aussi favoriser la pérennité des organisations et la fidélisation des talents dans un monde du travail en mutation.
Le saviez-vous ?
Selon une étude de Santé publique France (2022), près d’un actif sur cinq présente un trouble de santé mentale, dont les causes sont souvent liées au travail : surcharge, harcèlement, isolement, perte de sens. En parallèle, le baromètre Qualisocial 2023 révèle que 60% des salarié(e)s déclarent ressentir un mal-être psychologique régulier, et 36% des arrêts de travail seraient liés à des troubles anxieux ou dépressifs.
Les troubles les plus répandus sont :
Le burn-out

Le bore-out

Le brown-out

Mais derrière ces termes, il y a des gens qui s’éteignent lentement, souvent sans oser en parler. Et pourtant, l’OMS reconnaît depuis 2019 le burn-out comme un phénomène lié au travail, qui mérite une prise en charge sérieuse. Ignorer ces signaux, c’est risquer de transformer les entreprises en lieux de souffrance systémique. On oublie que derrière chaque employé(e), il y a un corps qui s’épuise, un esprit qui flanche, une vie qui s’écroule parfois en silence.
Quel est le coût de ce silence ?
Dans de nombreuses organisations, la surcharge de travail est non seulement tolérée, mais parfois valorisée.
- Les collaborateurs qui prolongent leurs journées au-delà des horaires standards sont perçus comme exemplaires.
- Celles et ceux qui ne prennent pas leurs congés sont considérés comme investis.
- Ceux qui ne verbalisent aucune difficulté sont assimilés à des profils fiables.
Cette normalisation du sur-engagement masque pourtant une réalité préoccupante : une partie significative des salarié·es évolue dans un état de fragilité psychologique croissante, jusqu’à l’épuisement.
Coût humain
Les données disponibles illustrent avec clarté l’ampleur du phénomène en France :
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12 % de la population active, soit environ 3,2 millions de personnes, est exposée à un risque élevé d’épuisement professionnel (Medadom, 2023).
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480 000 salarié·es vivent actuellement une situation de souffrance au travail.
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Parmi eux, près de 30 000 présentent un burn-out sévère.
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Selon une enquête de la CFDT (2017), 36 % des actifs déclarent avoir traversé une situation d’épuisement professionnel, avec une incidence plus élevée chez les femmes (39 %, contre 31 % chez les hommes).
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Par ailleurs, 20 % des arrêts maladie sont directement imputables au stress professionnel, avec le burn-out comme facteur déterminant.
Ces chiffres traduisent une dégradation silencieuse mais continue du capital humain, qui ne se limite pas à la santé individuelle. Elle affecte durablement la confiance en soi, l’équilibre personnel et le sentiment d’utilité professionnelle. Le décrochage progressif d’un salarié, pourtant compétent et engagé, passe rarement inaperçu dans son entourage proche, mais reste souvent non pris en compte au sein de l’organisation.
Coût économique
Au-delà de l’impact humain, la dépression liée au travail génère des conséquences économiques substantielles pour les entreprises :
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Les Risques Psychosociaux (RPS) — incluant le stress, la surcharge, les tensions relationnelles ou le harcèlement — sont estimés à un coût annuel compris entre 45 et 103 milliards d’euros à l’échelle européenne, la France figurant parmi les pays les plus concernés en termes de coûts par salarié.
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80 % de ces charges sont directement supportées par les entreprises, principalement sous forme d’absentéisme (53 %) et de présentéisme (34 %) — ce dernier désignant une présence physique sans engagement réel, souvent invisible mais délétère pour la performance globale.
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L’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) estime à 2 à 3 milliards d’euros par an le coût social du stress en France, incluant les soins médicaux, les arrêts, les accidents du travail et les décès prématurés.
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Enfin, selon une étude conjointe d’Apicil et Mozart Consulting, le coût annuel d’un salarié en souffrance peut atteindre 12 600 €, dont plus de 10 000 € seraient évitables grâce à des pratiques managériales adaptées, une meilleure régulation de la charge de travail, et une attention accrue portée au climat social.
Des impacts souvent invisibles… mais bien réels
Les répercussions de la dépression au travail ne se résument pas à des indicateurs de performance ou à des lignes budgétaires.
Elles se manifestent dans la durée par :
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une perte d'engagement,
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une démotivation progressive,
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des troubles du sommeil et de l’attention,
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une altération des relations professionnelles,
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et à terme, un désengagement ou un départ non anticipé de profils clés.
Ces effets restent rarement mesurés de manière formelle, mais leur accumulation pèse sur la cohésion des équipes, la qualité de service, et in fine, la réputation de l’employeur.
Humainement, la dépression professionnelle affecte la dignité, l’équilibre psychique et la stabilité de carrière de milliers d’individus.
Économiquement, elle constitue un facteur de fragilisation des organisations à moyen et long terme, bien au-delà du seul coût direct.
Et pourtant, ces impacts demeurent largement invisibilisés dans les outils de reporting classiques. Ils n’apparaissent ni dans les bilans comptables, ni dans les dashboards RH, mais ils façonnent profondément la réalité du travail.
Vers une prise de conscience collective
La prise en compte de la santé mentale au travail ne repose pas sur des solutions immédiates ou universelles. Elle nécessite une approche progressive, systémique et multidimensionnelle. Si aucune réponse unique ne peut prétendre résoudre l’ensemble des problématiques liées à la dépression professionnelle, plusieurs leviers concrets, validés par les études et la pratique, permettent d’initier un changement durable.
Le point de départ reste souvent le même : accepter de reconnaître le problème, de le nommer, et de favoriser l’expression des difficultés, à tous les niveaux de l’organisation.

Favoriser la parole et déstigmatiser la souffrance psychologique
Le premier obstacle à surmonter demeure la peur d’être jugé, marginalisé ou perçu comme moins légitime professionnellement.
Une étude publiée par la National Alliance on Mental Illness (NAMI, 2024) indique que 74 % des salarié(e)s considèrent qu’il est socialement acceptable d’évoquer la santé mentale au travail. Pourtant, seuls 58 % osent effectivement le faire, redoutant les conséquences sur leur image, leur carrière ou leur stabilité professionnelle.
Pour briser ce tabou, l’American Psychiatric Association propose le protocole "Notice, Talk, Act", destiné à former les équipes à repérer les signes persistants de mal-être : retrait social, perte d’énergie, irritabilité, baisse de concentration… et à engager un dialogue dans un cadre bienveillant, respectueux et non intrusif.
Encourager la parole n’est pas un acte symbolique : c’est un pré-requis à toute politique de prévention sérieuse.
Former les managers à la détection et à la régulation
Le rôle du management est central. Les encadrants de proximité sont souvent les premiers en mesure de repérer une détérioration du comportement ou du climat social, mais peu sont réellement formés à ces enjeux.
En 2019, une étude menée au Royaume-Uni révélait que seules 43 % des entreprises proposaient des formations spécifiques à leurs managers en matière de santé mentale, et que seuls 25 % des DRH considéraient leur encadrement compétent pour détecter les signaux faibles.
Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande clairement que les managers soient formés à :
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identifier les signes précoces de détresse,
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adopter une posture d’écoute active et de reformulation,
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orienter vers les dispositifs de soutien adaptés,
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ajuster les conditions de travail si nécessaire.
Il s’agit moins d’attendre des managers qu’ils deviennent psychologues, que de les outiller pour prévenir au lieu de réagir dans l’urgence.
Mettre en place des espaces d’expression et des dispositifs de pair-aidance (peer support)
La création de lieux de parole sécurisés, qu’ils soient formels (groupes de discussion, lignes d’écoute internes, médiateurs QVCT) ou informels (espaces d’échanges réguliers en équipe), contribue à restaurer un climat de confiance et à éviter l’isolement.
L’avantage de ces approches ? Elles renforcent le lien social et la responsabilisation collective, tout en diminuant la pression sur les lignes managériales ou RH.

Dans cette optique, les programmes de peer support (soutien entre pairs) connaissent un essor notable. Ils consistent à former des salarié·es volontaires pour écouter, accueillir et accompagner leurs collègues de manière confidentielle et structurée. Une méta-analyse publiée en 2020 met en évidence que ces dispositifs améliorent significativement la qualité de vie au travail, réduisent les symptômes dépressifs et limitent les ré-hospitalisations.
Construire une culture d’entreprise fondée sur la sécurité psychologique
La lutte contre la dépression professionnelle ne peut reposer uniquement sur des initiatives individuelles. Elle suppose une réflexion stratégique sur la culture d’entreprise elle-même.
Le concept de climat psychosocial (PSC), issu de la recherche en santé au travail, désigne la perception qu’ont les salarié·es de l’engagement réel de leur organisation envers leur santé mentale. Un PSC favorable est associé à :
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une réduction de l’absentéisme (jusqu’à 43 % selon certaines études),
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une amélioration de la performance collective,
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une fidélisation accrue des collaborateurs.
Les démarches superficielles, comme l’affichage de slogans ou la mise en place d’outils sans accompagnement managérial, ne suffisent pas. Comme le rappelle le Financial Times, seules des réformes structurelles, équilibre des charges, reconnaissance professionnelle, autonomie dans les missions, permettent de créer un environnement de travail réellement protecteur.
Encourager la bienveillance au quotidien
Enfin, la bienveillance interpersonnelle reste un levier aussi simple qu’essentiel. Un mot, un regard, une question sincère – « Comment vas-tu, vraiment ? » – peuvent briser un isolement et initier une dynamique de soutien.
Selon une étude relayée par Time Magazine, les relations sociales au travail réduisent significativement le risque de burn-out. À l’inverse, un collaborateur isolé s’expose à des risques pour sa santé mentale équivalents à ceux du tabagisme intensif.
Ainsi, si la prévention de la dépression professionnelle repose en partie sur des outils, des politiques et des dispositifs RH, elle repose aussi – et surtout – sur la qualité des relations humaines tissées au sein de l’organisation.
Conclusion
Reconnaître la dépression liée au travail comme un enjeu de santé publique et un risque professionnel majeur n’est plus une option, mais une responsabilité collective.
Il ne s’agit pas seulement de réagir face à l’absentéisme ou à la désorganisation des équipes. Il s’agit d’anticiper, d’écouter, d’accompagner et de transformer durablement les environnements de travail.
Agir pour la santé mentale des collaborateurs, c’est refuser de normaliser l’épuisement. C’est également faire le choix d’une performance soutenable, fondée sur l’engagement, la reconnaissance et la qualité des relations professionnelles.
Les entreprises qui s’investissent dans une approche préventive, structurée et humaine en ressortent renforcées : plus résilientes, plus attractives et mieux préparées aux défis économiques et sociaux actuels. Préserver la santé mentale au travail ne relève ni du luxe, ni de la tendance : c’est un impératif stratégique, humain et éthique.
Sources Officielles :
1. Medadom - "Les chiffres clés du burn-out en France"
2. Actistress - "Conséquences économiques du stress au travail"
3. Workplace Mental Health - "Mental Health Struggles in the Workplace: Know the Warning Signs"
4. World Health Organization - "Mental health at work"
5. Time - "People Are Comfortable Discussing Mental Health at Work, Just Not Their Own"
Chez HER Solutions, nous accompagnons les entreprises dans la structuration de leur environnement de travail, la prévention des risques psychosociaux, et l’amélioration de la qualité de vie au travail.
Nos services incluent :
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l’audit RH et organisationnel sur les enjeux de charge, communication et bien-être,
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la mise en place de procédures internes favorisant l’écoute et la prévention,
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la sensibilisation des managers et des équipes à la santé mentale au travail,
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le pilotage de missions et dispositifs RH adaptés (QVT, suivi des entretiens, dynamique d’équipe).
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